dimanche 1 avril 2018

De Lukla à Gokyo...

20 avril 2015 : réveil 4h54, petit dèj frugal. Je laisse une partie de mes affaires dans des sacs en gardiennage dans un local de l'hôtel. Srijan passe me prendre en bas de l'hôtel à 6h05 et nous rejoignons A.B. (Ash Barhadur Gurung) à l'aéroport. Srijan doit partir dans 3-4 jours avec une française pour un trek dans le Langtang, nous nous reverrons au retour.
Nous pesons nos sacs : celui d'A.B. pèse 8,3kg, mon petit sac avec l'appareil photo 7,9kg, et mon gros sac 11,2 kg.
Nous prenons un petit avion de la compagnie buddha air d'une quinzaine de passagers. La piste de Lukla est très courte ( à peine 500m) et en pente (12 degrés) ce qui rend les atterrissages et décollages plutôt spectaculaires.
Nous prenons un petit déjeuner à un hôtel où nous réorganisons nos sacs. A.B. portera mes sacs de couchages (deux petits pour pouvoir gérer les différences de températures) ma doudoune et une partie de mes habits.
premiers pas au fond de la vallée
Je dois avoir 10-12 kg sur le dos. Pour la première étape : Lukla-Phakding il ne nous faut que 3h de marche dans un paysage plutôt alpin si ce n'est le Thamserku, ses pentes blanches abruptes et son sommet à 6608m qui nous domine au fond de la vallée.
Momos, bien souvent au menu



 Il nous faudra juste 3h aujourd'hui pour rejoindre Phakding où nous mangerons à midi. Tous les jours quand nous arrivons à notre village étape A.B. choisit une auberge qu'il connaît ou qu'on lui a conseillé. Ca fait environ 5 ans qu'il n'est pas venu dans cette vallée pourtant très touristique, c'est aussi pour ça qu'il n'est pas venu, trop touristique...

 Le prix des chambres est très bon marché à condition qu'on prenne aussi le repas sur place sinon le prix de la chambre passe de 200 à 1000 roupies (100 roupies environ 1 euro). Le prix des repas, thé ou quoi que ce soit augmente avec l'altitude. Normal il faut payer les porteurs qui portent tout ça sur leur dos. A.B. me dit que les porteurs portent jusqu'à 80-100kg dans leurs paniers dorsaux ! Un homme d'une cinquantaine de kilos passe avec une bouteille de gaz, un sac de riz de 25kg et quelques autres paquets.


 D'après A.B. ils touchent environ 1000 roupies par jour. Dans notre trajet de retour nous avons mangé dans une tea house, un petit "restau" plus fait pour les locaux et le mari de la patronne, porteur à l'occasion nous raconte que pour 60kg portés au camp de base de l'Everest il gagne 2400 roupies par jour et il faut 7 jours pour atteindre le camp de base, soit 16800 rps. 168 euros c'est plutôt un bon salaire pour le pays mais ils y laissent leur santé. Outre le riz et la nourriture de base les porteurs ont aussi des bouteilles de vodka, whisky, des pringles et autres "friandises" occidentales. Je me demande à quoi ça sert tout ça... Pourquoi quand on va dans un pays éloigné du notre, avec une culture différente, une cuisine différente a-t-on besoin d'amener la notre? Pourquoi manger des pringles à 4000m d'altitude??? Est-ce que c'est si compliqué de se passer de ses repères quelques jours ?
Sacs des porteurs en pause et Thamserku au fond
Nous marcherons généralement 5 à 6 heures par jours, la journée la plus raide est la deuxième, nous passons des 2650m de Phakding aux 3500m de Namche Bazaar.

Namche Bazaar
Mais ce jour là je marche plutôt bien, j'ai un bon rythme et dois parfois attendre A.B. qui n'est pas au mieux ce jour là. Il me dit que son repas du midi lui est resté un peu sur l'estomac, mais que je marche bien. Il me l'avait dit à l'aéroport en me voyant arriver "je pense que tu marches bien, ça se voit". Je ne sais pas comment il avait vu ça mais c'est flatteur. Et on verra quand on sera plus haut si je fais le malin. En Bolivie j'avais eu du mal à partir de 3800m (voir mes aventures à Sorata en mai 2008 ;-) ). Comme nous sommes arrivés tôt à Namche Bazaar je monte encore un peu au dessus du village pour avoir une vue et sortir un peu de cette "ville" bourrée de touristes. 
petit saut au dessus de Namche Bazaar vers 3800m


Rue en pente de Namche

C'est la dernière vraie ville avant les petits villages qui nous attendent. Quoiqu'il en soit,  nous restons à Namche Bazaar une journée en faisant une balade autour pour nous accoutumer comme la plupart des gens.

Pendant la balade que nous faisons avec A.B. nous partons dans une vallée à l'opposé. Une très jolie randonnée qui nous mène autour de Thame un petit village. En chemin nous voyons des thars (sortes de gros chamois de l'Himalaya) et des faisans multicolores. 
Ash Barhadur Gurung, mon guide discret

A.B. n'est pas très bavard, et répond à mes questions très simplement. Ah je ne vous ai pas dit mais il parle seulement anglais en plus de sa langue maternelle, enfin peut-être qu'il parle d'autres langues mais je ne le sais pas.


Rhododendron
 A 3600m autour de Namche Bazaar les arbres sont encore bien présents et les rhododendrons en fleurs sont de vrais arbres ici! C'est de Namche que je peux voir l'Everest.
Gypaète barbu
C'est un peu pour ça que je suis au Népal... Il y a quelques années j'ai fait comme certaines personnes en dressant une liste de ce que je voudrais faire dans ma vie et voir le toit du monde en fait partie. 
Tenzing Norgay premier népalais au sommet de l'Everest avec Hillary


Ma première tentative, le premier soir, est décevante. J'étais allé au point de vue mais les nuages qui montent presque tous les soirs bouchaient la vue. Je me suis contenté de la statue de Tenzing Norgay qui trône sur le panorama. Le lendemain à notre retour de balade en début d'après midi le ciel est gris encore. Un couple de jeunes français en tour du monde vient d'arriver dans la même auberge que nous. Ils n'ont pas de guide, ça n'est pas nécessaire, les chemins sont très bien tracés et très fréquentés, mais ils posent quelques questions à A.B. J'ai préféré prendre un guide parce que je suis seul et que je ne sais pas comment je peux réagir en altitude. 
Faisan multicolore

Pendant que nous discutons je vois que le ciel se dégage et je décide de monter au panorama. Je pars assez vite dans les rues pentues mais le souffle me manque un peu, je me calme. Dans le bois juste avant le panorama j'entends et vois un faisan multicolore chanter à quelques mètres. Il est magnifique avec ses reflets métalliques ! 
Ama Dablam

Arrivé au point de vue, la vallée est dégagée sur l'Ama Dablam, le plus proche et donc le plus imposant avec sa face à pic et considéré comme une des plus belles montagnes du monde (titre qu'il se dispute avec l'Alpamayo au Pérou) , le Lohtse (8516m) et... l'Everest! D'ici il fait petit, il pointe sa face reconnaissable au dessus de la vallée. Je suis seul... Les centaines de touristes dans la ville iront jusqu'au camp de base pour la plupart et le verront de plus près mais ils n'ont pas l'air plus curieux que ça de le voir avant. Ou c'est moi qui fait ma groupie? Je reste jusqu'au coucher du soleil, c'est là que je me rends vraiment compte qu'il est le plus haut avec ses 8848m. Il reste le seul éclairé par le soleil. 22 avril 2015 j'ai vu l'Everest!
une caravane de yacks

Le lendemain 8h nous partons au milieu d'une file ininterrompue de marcheurs, porteurs, guides, animaux de bâts... Le chemin, créé par un seul homme à ses débuts, suis la courbe de niveau sur les premiers kilomètres puis se divise en direction de l'Everest et de Gokyo. Nous sommes très peu à aller vers Gokyo, à peine quelques touristes et des porteurs qui transportent nourriture et matériel de construction. On va enfin pouvoir profiter.




La montée vers Mong La à près de 4000m est assez éprouvante. Depuis 3800m mes jambes tirent un peu, je règle mon pas dans celui d'A.B. Il marche lentement et s'arrête souvent. Trop souvent à mon goût, je n'ai pas l'habitude de m'arrêter quand je marche seul mais c'est lui le guide, s'il fait ça c'est qu'il le faut et les porteurs le font aussi. Assez souvent, sur le bord du chemin, on peut trouver des bancs de bois ou de pierre. Des bancs plus hauts que la normale pour pouvoir poser le sac ou le panier qui pèse sur les épaules et se soulager quelques secondes avant de repartir. Certains porteurs équipés de paniers d'osier, "à l'ancienne", ont aussi un bâton court avec un gros pommeau large qui leur permet de poser leur charge quand ils le souhaitent. A Mong La nous mangeons en terrasse avec une vue magnifique. Ce sera notre point culminant aujourd'hui avant de redescendre sur Phortse Tanga où nous dormirons. 
Mong La

Les repas sont souvent un peu les mêmes : momos, galette de pomme de terre surmontée d'un œuf (ça cale bien ça!) dhal bhat ou une soupe avec de la viande de yack. Pour les petits déjeuners j'opte en général pour de la tsampa, sorte de porridge d'orge ou d'avoine. 
Kalo thia : thé noir, la boisson de mes repas
Je me souviens avoir lu un livre "la marche dans le ciel" de Poussin et Teysson deux guides de montagne français qui ont traversé l'Himalaya d'est en ouest en basket en allant de village en village et se nourrissant de tsampa qu'ils ne supportaient plus à la fin :-) Moi j'aime bien, ça donne des forces pour la journée.
A Phortse Tanga je goûte le pain tibétain au petit déjeuner, ça ressemble un peu à notre gibassier (ou pompe à huile)... c'est bon ça ! C'est d'ailleurs ici que j'ai mangé le meilleur, chaque hôte ayant sa recette. Dans ce hameau une petite de 7-8 ans avec sa sœur sur le dos et son frère me demande de les prendre en photo. Une équipe de huit français est dans l'auberge aussi. Ils se retrouvent de temps en temps pour se faire des treks de plusieurs jours tous ensemble. Une bonne ambiance règne entre eux.

J'ai demandé une couverture de plus pour ne pas avoir froid cette nuit. Seule la pièce commune est chauffée avec de la bouse de yak séchée dans un poêle. Bizarrement ça ne sent pas trop. J'ai un peu de mal à m'endormir, j'ai eu un peu mal à la tête. Je m'endors vers minuit et me réveille à 5h30. La fillette partira en même temps que nous le lendemain, toujours avec sa sœur sur le dos et avance loin devant nous dans la montée jusqu'à son père qui retape une maison à une heure du hameau. Nous passons par Dole, joli village à 4200 m sur une sorte de plateau au pied d'une belle montagne. Le midi nous mangeons à Luzla dans une des deux seules auberges alors que des flocons commencent à tomber. Nous attendons une accalmie pour rejoindre Machhermo, où nous arrivons sous les flocons qui saupoudrent les yaks devant le trekkers lodge à 4410m. Dans la grande pièce chauffée on garde quand même la doudoune. Le père de la propriétaire a gravi l'Everest à l'automne 83 comme l'indique le certificat accroché au mur. Trois types, aux gueules de grimpeurs, autrichiens apparemment, dont les tentes sont plantés dehors par leur équipe de porteurs ajoutent à l'ambiance de refuge de montagne. Ambiance de film finlandais plutôt : un des types dit deux mots, un autre répond à peine... C'est calme. Froid et calme. Je vais écouter un peu de musique dans ma chambre. Et reste circonspect devant les wc... Après un bon repas je retourne à ma chambre, il est à peine 19h30, je suis fatigué. Je vais dormir à cette heure là?? Pour le moment le but est de retrouver la chambre dans ce couloir totalement noir et surtout réussir à ouvrir le cadenas avec cette mini clef. Heureusement, à la fac je m'exerçais à vivre en aveugle, tu vois Matthieu que ça sert à quelque chose :-) Extinction des feux 20h30

25 avril 2015, il neige finement, nous décidons de partir malgré tout. Nous en avons pour 3h30-4h de marche jusqu'à Gokyo. Le début monte assez raide, la neige et le vent s'intensifient plus haut. Nous longeons une rivière, celle qui relie les trois lacs de Gokyo. Nous serons arrivés au troisième. Cette neige n'est pas vraiment de saison me dit A.B. mais je suis assez content de connaître ces conditions. Le sentier creusé dans la neige est parfois à peine large comme nos pieds et profond de 70cm. Le mal de tête me reprend, je me concentre sur ma respiration. Parfois, quand nous nous éloignons de la rivière c'est le calme complet, je n'entends que le bruit des grains de neige sur la capuche de ma veste, ma respiration et le bruit des bâtons de marche... Nous croisons une colonne de yacks.
Vers 11h30 j'ai un coup de barre. Pour la première fois depuis 5 jours je demande à A.B. de nous arrêter pour manger une barre de céréales et boire un coup. Je vais faire pipi. Mes jambes flagellent. C'est une sensation étrange, pas comme une hypoglycémie, ça ça m'est déjà arrivé. Ca me reprend, en fait non, c'est le sol qui bouge! La Terre tremble et gronde! "un tremblement de Terre" me dit A.B. "ne bouge pas!". Deux pierres, grosses comme des ballons de foot, dévalent la pente à quelques mètres et on entend comme une avalanche dans la vallée derrière nous. 11h41 un tremblement de Terre de magnitude 7,9 sur l'échelle de Richter vient de frapper le Népal à quelques dizaines de kilomètres d'ici. Nous n'avons connu qu'une version gentille, pas de quoi avoir vraiment peur mais j'avais toujours eu envie de ressentir ça. Moi bizarre?
A.B. me redonne la consigne : "si ça se reproduit place toi dans un endroit dégagé et ne bouge pas. Regarde autour de toi si tu vois arriver des pierres".
Nous arrivons au lac de Gokyo, sa surface est complètement gelée et tout le tour craquelé. A Gokyo seules deux maisons ont été touchées, les murs de pierre se sont écroulés mais pas de victime.
Quand nous arrivons à l'auberge les occupants en sortent en courant. Une réplique vient de leur faire peur. Elle devait être faible, nous ne l'avons pas sentie au sol. Plusieurs répliques pendant que nous mangeons à l'étage de l'auberge, le sol en bois doit amplifier la chose. Je ne suis pas trop inquiet, j'ai appris que les répliques sont moins fortes que le séisme originel mais je suis A.B à l'extérieur.
Son téléphone ne fonctionne plus, il ne peut pas avoir de nouvelles de sa famille. Nous apprenons par le poste de secours qui a un téléphone satellite que le séisme a eu lieu dans la région de Kathmandou même. A un moment le bruit court que 100 000 personnes sont mortes là-bas. Quand on connaît la ville ça ne serait pas étonnant. Je commence à prendre conscience de l'ampleur de la chose. A.B. qui ne parlait déjà pas beaucoup a le visage fermé. Les trois autrichiens aux mines de grimpeurs aguerris ont eu peur et décident de rebrousser chemin dès aujourd'hui. Dans le village je retrouve le groupe de français, je les accompagne sur les moraines d'un glacier pour voir le glacier de l'autre côté. Ils trouvent ce petit glacier sublime... Je n'ose pas leur dire que ceux d'Islande les feraient s'émerveiller autrement. Quoiqu'il en soit le gps de l'un d'eux annonce 4900 m. Je suis plus haut que le mont Blanc et suis entouré de montagne la tête dans les nuages. Le Gokyo Ri à plus de 5300m où nous sommes censés monter demain a lui aussi mis son chapeau de nuages. Vu mon état de santé je ne sais pas si je pourrai y arriver demain. Plusieurs répliques émaillent la soirée. Comme souvent repas à 18h30, c'est tôt pour moi mais la faim est là. Les clients se sont réunis autour du poêle. 20h30 je m'endors assez vite dans cette chambre très froide. Je dors habillé pour le froid et en cas d'évacuation.
23h30 une réplique me réveille, j'entends courir dans le couloir en bois et vois une lumière à l'extérieur mais je ne bouge pas. Les murs de l'habitations sont en bois (contreplaqué) qui supporte plutôt bien les ondes. Je pense à tous les gens qui devaient se trouver sur les pentes des montagnes à ce moment là, aux ponts suspendus, aux villages traversés. Je vais proposer à A.B de redescendre dès demain. Il faut qu'il retourne auprès des siens...










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