dimanche 1 avril 2018

De Gokyo à Lukla...

Je fais part de ma décision à A.B., il me dit qu'on peut gravir le Gokyo Ri si je veux, c'est son métier on est là pour ça on partira demain comme prévu.
Sur la gauche, le Gokyo Ri (5357m)
"Non, il faut qu'on redescende, tu dois prendre des nouvelles de ta famille et les rejoindre. On doit pouvoir redescendre en deux ou trois jours à Lukla. Et puis regarde le Gokyo Ri est dans les nuages, on ne verra rien. On ne va pas monter juste pour monter. Et comme j'étais fatigué hier je ne suis pas sûr d'arriver en haut"
Derrière les nuages le Cho Oyu (8188m))
 "C'est comme tu veux".
Je fais quelques photos du paysage un peu plus dégagé qu'hier, dis au revoir au groupe de français et on s'en va vers 8h30.
Nous marchons en silence, comme d'habitude, mais avec un poids sur le cœur. Qu'est ce qui nous attend dans la vallée? Comment allons nous retrouver Kathmandou? Comment va la famille d'A.B.?
Le ciel est bas et gris. Nous passons devant une première maison dont la toiture est à moitié effondrée. 
On avait bien entendu une petite avalanche...

Elle est déserte mais un corbeau semble nous défier de son cri rauque. Il ne bouge pas. Ambiance de film sur le moyen âge. A Machhermo la plupart des maisons sont éventrées. Les murs en pierre sèche de 40-50 cm d'épaisseur n'ont pas supporté les secousses. Les toitures tiennent grâce aux fenêtres !
Machhermo
 Les boiseries ont encaissé les chocs. Devant les habitations des tentes de fortune ont été dressées, les habitant ne veulent plus rentrer chez eux. Sur le chemin de nombreuses pierres de toutes tailles ont déboulé de la montagne au dessus, des fissures dans la terre laissent présager de glissements de terrains à la prochaine saison des pluies m'indique A.B. 
Nous voulons manger à Luzla au même endroit que la veille, mais personne n'est là. Une simple fissure a marqué la bâtisse pourtant. Un homme devant la seconde auberge nous fait signe. Les propriétaires des deux auberges se sont réunis. Ils ont installé une table à l'extérieur et une bouilloire est sur le feu. Pas de cuisine. Personne ne rentre dans les bâtiments. Nous prenons deux thés noirs chacun et partageons un paquet de biscuits type "TUC".
Un peu plus loin une nouvelle grosse réplique fait trembler le sol. Celle-là est sérieuse, difficile de tenir sur ses jambes. Nous sommes à flanc de montagne et des murs de pierres menaçants se trouvent au dessus de nous. 
Une dame prie au sommet d'une colline
A.B. me dit de ne pas bouger mais l'énorme grondement d'un éboulis au dessus de nous me pousse à me cacher contre un gros rocher. Est-ce que ça suffira? Je ne sais pas mais je n'ai pas d'autre solution. 
Je dis à A.B de venir avec moi. Il est accroupi sur le chemin à guetter ce qui peut arriver d'au dessus. La secousse cesse et le grondement s'achève. Vraisemblablement l'effondrement a eu lieu sur l'autre versant de cette colline. Et les murs ont tenu le coup. On a eu chaud...
Dole aussi est bien touché. Au fur et à mesure de notre progression les nouvelles s'enchainent. A midi, la radio de l'aubergiste parlait de 723 morts, plus loin un guide nous parle d'un bilan de 1800 morts dans tout le Népal. Deux français me disent que Namche n'est pas trop atteinte. Ouf! Il faut dire que les habitations sont plus souvent scellées avec du ciment là-bas.

A.B. a eu des nouvelles de Phortse Tanga, apparemment nous pourrons y dormir.
humm la douce chaleur d'un poêle à bouse de yak
Le propriétaire n'est plus là, il est retourné en ville dans sa famille mais une dame est là pour nous faire à manger. Ca fait plusieurs jours que je ne me suis pas lavé, mes cheveux sont gras. Je me lave le corps avec un gant au lavabo à l'extérieur avec l'eau de la montagne. Le plus dur c'est pour la tête, j'ai l'impression qu'un étau me serre le crâne. Mais une fois séché et près du poêle je me sens bien mieux.
Cette nuit la porte qui donne à l'extérieur restera ouverte en cas d'évacuation. La voisine qui s'occupait de nous faire à manger est pressée et me sert le repas à 18h15. Une heure plus tard je suis au lit ! De petites répliques se font sentir. Vers 22h10 une plus grosse me pousse dehors où je retrouve A.B. Les trois autres touristes n'ont pas bougé. Dans la nuit j'entends quelqu'un dans le couloir et vois une lumière sur le chemin par la grande fenêtre de ma chambre. Dans le brouillard je vois un homme partir et A.B. qui semble revenir sur ce même chemin.  
Au petit matin un sifflement me sort de ma somnolence. Par la fenêtre je vois un superbe thar sur le chemin. Est-ce A.B. qui a sifflé pour me prévenir? Non, ce sifflement est celui de l'animal. C'est bizarre, ça ne colle pas avec la bête. Je profite de ce joli moment.
A.B. m'explique que l'homme cette nuit était un peu perdu, il recherchait sa femme qui est parti en lui laissant les enfants (ceux que j'ai pris en photo l'autre jour). Ca arrive me dit-il...

De nombreuses roches ont déboulé de la montagne
La veille je lui avais proposé de me laisser à Khumjung où je pourrais finir mon séjour dans la vallée et peut-être aider et que lui descende à Lukla le plus vite possible pour rentrer sur la capitale. Mais il a réfléchi cette nuit, et probablement peu dormi, nous devons passer les checkpoints (de Namche Bazaar et Lukla) ensemble puisqu'il est mon guide et de toute façon il a appris que beaucoup de gens veulent quitter la vallée, il ne pourra donc pas changer son billet d'avion.
 Pour cette même raison inutile pour nous d'arriver plus tôt à Lukla, nos billets retour sont prévus pour le 1er mai nous ne partirons pas plus tôt. Donc nous allons redescendre tranquillement pour arriver la veille de notre départ théorique et ne pas nous entasser dans la ville-aéroport.
A.B. marche lentement aujourd'hui, il fait chaud et la montée vers Khumjung est plutôt raide. Je le sens très affecté. Avec son fatalisme il me dit que les faits sont comme ça et qu'il faut les accepter. Il a appris à la radio que sur les 90 maisons de son district seules 4 sont encore entières...
Khumjung est une petite ville, de la taille de Namche Bazaar, mais plus étendue car plus à plat.
De nombreux lodges font vivre cette ville mais la plupart sont fermés. Les murs qui délimitent les parcelles de ce village sont en partie effondrés mais personne ne ramasse les pierres. Peut-être attendent ils que les secousses cessent ou la venue de l'expert de l'assurance ;-) Ici aussi beaucoup de maisons sont touchées et les tentes ont essaimé.
La propriétaire de la boulangerie la plus haute du monde où nous nous sommes arrêtés pour nous restaurer n'est pas très motivée pour rentrer nous préparer un en cas. Et son inquiétude ne fait que monter quand deux autres groupes de marcheurs viennent s'attabler. Son mari a une autre affaire près de l'Everest.
Khumjung
Les propriétaires d'auberges ou de restaurants ne sont pas les plus malheureux apparemment, hors saison ils redescendent vers la capitale où ils peuvent avoir une maison. Une secousse est attendue pour midi, 24h après celle qui m'a fait me cacher derrière le rocher. J'explique à A.B. que c'est absurde, on ne peut pas prévoir l'heure des secousses et de toute façon la Terre n'a pas de montre. Les randonneurs passent calmement, dans les rues de cette ville apathique. Les guides échangent quelques blagues histoire de détendre l'atmosphère.
Le chemin de ce côté pour atteindre Namche est très agréable aussi. Du côté de Sangboche le paysage ressemble un peu aux crêtes herbeuses du Luberon. Dans la descente A.B. réussi à avoir son patron au téléphone mais pas de nouvelles claires de chez lui. La guesthouse où nous nous étions arrêtés à l'aller est fermée, elle ne semble pas trop touchée pourtant. Ici aussi pas facile de trouver une auberge ouverte.
On aurait dû s'arrêter à Sangboche regrette A.B. toujours inquiet de mon confort. Mais peu m'importe. Les tentes oranges ou bleues donnent un air de camp de réfugiés, et l'auberge où nous échouons, le Nest, ressemble au QG des grands reporters venus couvrir l'évènement. Mais il s'agit de touristes, américains et indiens pour la plupart, qui, le nez dans leur smartphone donnent des nouvelles à leurs proches.
Je réussis à trouver un endroit d'où envoyer un message. Par Facebook je rassure directement quelques amis. J'apprends que mon frère avait prévenu le quai d'Orsay comme le lui a conseillé Virginie, une amie que bosse dans les assurances voyage. Ils sont barjots! Ils pensaient que j'allais mourir là? Mais je ne connais personne ! :-) Je pensais qu'ils pouvaient s'inquiéter mais pas à ce point.
 Les enfants continuent de jouer dans les rues, les jeunes adultes jouent au billard ou ce jeu avec des palets sur un plateau.
L'hôtel étant bondé je partage ma chambre avec un  cuisinier américain. A.B dormira dans la salle de restaurant avec les autres guides. Je lui prête mon petit duvet pour la nuit. Il fait moins froid ici. Une télé dans l'entrée diffuse les images de la catastrophe. Apparemment c'est plus la campagne autour de Kathmandou qui est touché, peu d'images de la ville.
Je ne l'ai pas précisé mais A.B. mange toujours après moi, je n'ai pas réussi à le convaincre de manger avec moi. C'est même lui qui le porte mon assiette depuis la cuisine généralement. Il mange ensuite dans la cuisine avec les autres guides s'il y en a.

 



Si j'ai bien compris le repas leur est offert par le propriétaire de l'auberge où ils amènent leur(s) client(s), ou alors beaucoup moins cher.
Le lendemain petite journée. Pas d'auberge ouverte à Josarle, nous nous arrêtons un peu plus loin à Monzu un peu avant midi. Je vais faire un tour l'après midi. Au dessus de ce joli village, dans la cour de l'école de jeunes hommes jouent au volley.
Une partie endiablée. Je regarde un moment. Un jeune garçon me demande à voir mes photos du match et de le prendre en photo avec son copain.
Un peu plus haut, au dessus de l'école un temple et une multitude de drapeau couvrent la colline. Je passe un bon moment ici à faire des photos, c'est calme et reposant tous ces drapeaux blancs.
Quand je rentre A.B. a eu des nouvelles par un ami, la communication était mauvaise mais il sait ue ses filles et sa femme sont sécurité avec lui. Il me dit aussi qu'un porteur, dont le groupe est dans une auberge du village, se serait jeté volontairement d'un pont avec sa charge.
Ce soir repas aux chandelles, il n'y a pas eu assez de soleil pour les panneaux solaires de l'auberge. Même le cuisinier prépare le repas à la lampe à pétrole. Une jolie jeune fille est assise seule à sa table, elle y est restée une bonne partie de l'après midi à gratter du papier. Deux chinoises jouent avec la petite fille de la maison.



Le lendemain il fait plutôt bon, A.B. me propose de prendre le petit déjeuner en terrasse, nous discutons un bon moment. Il a bien dormi et est plus détendu, il parle plus. Les relatives bonnes nouvelles qu'il a reçu hier l'ont certainement soulagé. J'ai essayé de lui expliquer ce qui provoque les tremblements de Terre mais ça n'est pas bien concret pour lui.
A Phakding nous croisons Didi, la propriétaire de l'auberge où nous nous étions arrêtés pour notre première étape. Elle attend la venue d'un inspecteur demain pour savoir si elle peut rouvrir. Les conversations avec les gens que nous croisons sont souvent les mêmes. A.B. explique d'où nous venons et où nous allons.
Ces discussions se font en népalais mais A.B. m'a appris à dire hier et demain et je saisi aussi le nom du lieu où nous étions. Pendant qu'il parle avec Didi je comprends qu'il cherche le nom du village de cette nuit et dit donc "Monzu". Une heure plus tard, alors que nous marchons il me dit "tu es malin, tu as compris ce que je cherchais à midi".
pin de l'Himalaya

 Je lui explique comment j'ai compris. J'aimerais pouvoir parler un maximum de langues et j'essaie toujours d'apprendre quelques mots même si avec le temps je les oublie, ça peut servir sur le moment. 

les travaux de reconstructions commencent pour certains



A midi nous mangeons dans un tea house, petit restaurant où les clients habituels sont les porteurs. J'avais demandé à A.B. pourquoi nous ne nous y arrêtions jamais. Il m'avait dit que ça n'était pas pour les touristes. Peut-être a-t-il vu que je ne me formalise pas de ça. C'est là que le mari de la cuisinière nous a expliqué combien il était payé pour porter du matériel au camp de base de l'Everest ou EBC comme on dit dans cette vallée (EBC : Everest Base Camp). 
dans la tea house



Finalement nous marchons presque deux heures après Phakding dont une bonne partie sous la pluie. Nous dormirons à Chepplung à une demi heure de Lukla.
Après la pluie je sors faire un peu des photos, les sommets sortent de derrière les nuages, et ici les champs sont verts et une petite culture vivrière est possible.
 Le soir je joue un peu avec le petit garçon de l'auberge. Il danse en chantant toujours le même refrain
Talamo benjen
Talamo benjen
Ta la pidjidji






Le 30 avril nous arrivons à Lukla, notre vol est prévu pour le lendemain. Mais aujourd'hui c'est le premier jour depuis deux jours que les avions peuvent à nouveau voler à cause des conditions climatiques du coup les gens se sont entassés dans la ville. Ca risque de coincer...












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